La renaissance de la mer d’Aral
Sous la pâle lueur du crépuscule le petit port d’Aralisk ressemble à une vieille photo sépia. Le temps y semble figé loin très loind du bruit et de la fureur du monde. Deux grues immobiles trois chalutiers bardés de dédicaces des entrepôts vides et délabrés une isba en piteux état surplombent un terrain vague qui s’étend jusqu’à l’horizon le lit de ce qui fut la mer d’Aral.
Dans ce musée à ciel ouvert une série de panneaux évoque son histoire celle d’une des plus graves catastrophes écologiques du XX siècle
En 1960 la mer d’Aral qui compte parmi les quatre plus grandes mers intérieures du globe couvrait 68 000 km2 l’équivalent de deux fois la Belgique. En quarante ans elle a perdu la moitié de sa surface et les trois quarts de son volume d’eau sacrifiée sur l’autel des soviets au nom d’une politique d’industrialisation à outrance; La conquête des terres vierges lancée dans les années 1950 signa délibérément son arrêt de mort. Des canaux prélevèrent 60 % du débit du Syr Daria et de l’amoudaria les deux rivières qui l’alimentent pour irriger quelque sept millions d’hectares de coton et l’apport d’eau à la mer d’Aral qui s’élevait à 55 millions de mètres cubes par an en 1960 se réduisit bientôt à 7 millions
Un beau jour la mer finit par se scinder en deux parties inégales la Petite Mer du nord et la Grande Mer du sud. La salinité de plus en plus élevée des eaux 10 grammes par litre en 1960 120 en 2007 dans la grande mer conduisit à l’extinction de la vingtaine d’espèces de poissons autochtones et au début des années 1980 toutes les activités halieutiques de la région cessèrent. Non loin d’Aralsk le hameau de Mergensaï est devenu une attraction. Une douzaine de touristes venus d’europe affirme un villageois remontent à bord d’un car après avoir visité le tombeau une steppe aride et sablonneuse où gisent ici et là des carcasses de navires échoués. Des chameaux débonnaires y paissent des broussailles poussiéreuse. La nuit, des loups y côtoient les milliers de rongeurs qui ont colonisé les lieux.
L’image de ces vaisseaux fantômes rongés par la rouille a fait le tour du monde au début des années 1990. Mais Najmandin Musabaïev maire d’aralsk ne veut plus en entendre parler nous avons commencé à nettoyer le terrain pour préparer le retour de la mer. La mer revient en effet. Il y a trois ans elle était à plus de 100 kms d’Aralsk. Elle n’en est plus aujourd’hui qu’à une trentaine et bientôt assure triomphalement l’akim elle atteindra de nouveau Aralsk
A environ 250 km en aval le barrage de kokaral a produit ce miracle. Financée par la banque mondiale et le gouvernement kazakh longue de treinze kilomètres la digue depuis son entrée en fonction en 2005 a permis à la Petite mer de reconquérir 50 % de sa surface. Le niveau d’eau de moins de 18 mètres en 2004 atteint aujourd’hui 42 mètres Kokaral est une frontière entre la vie et la mort. Au nord un immense lac d’un bleu éblouissant réinvesti au loin par une tribu de pélicans. Au sud un mince cours d’eau le trop plein de la Petite Mer déversé au printemps lorsque l’eau est à son plus haut niveau. Et à en croire Baktigamal Juguniseva qui préside l’association Aral tenizi une ong local soutenue par le Danemark les poissons qui passent dans la grande Mer y meurent presque aussitôt
A une bonne heure de route de Kokaral la seconde phase du projet de réhabilitation de la petite mer est en cours. Près de la nouvelle station hydraulique d’Aklak qui régule le débit du Syr Daria des bulldozers préparent la construction d’un second barrage qui devrait permettre d’augmenter d’au moins quatre mètres le niveau de la Petite Mer et lui permettre d’atteindre enfin Aralsk d’ici à 2011
Dans les villages environnants l’espoir est de retour. Lorsque la mer s’est retirée raconte un vieux pêcheur de Mergensaï les hommes se sont reconvertis dans l’élevage de chameaux. Mais depuis trois ans les carpes sont réapparues et nos enfants réapprennent à pêcher.
A Koszhar au bord d’un des 140 lacs sur 2500 qui ont survécu au désastre une ferme piscicole prépare l’introduction de nouvelles espèces de poisson. A en croire Adilbek Aimbetov le directeur de la ferme les habitants du hameau qui étaient partis reviennent et construisent de belle maisons parce qu’ils savent qu’ils ont de nouveau un avenir à Koszhars.
A l’entrée du bourg un panneau proclame avec aplomb que désormais la meilleure eau potable du pays se trouve à Aralsk, depuis 2005 ajoute l’akim le climat s’est un peu radouci et il pleut plus souvent.
Car avec la disparition de la mer la température descend à -45 ° C en hiver et atteint plus de 50 °C l’été. Pour lutter contre la désertification du bassin de l’aral, la banque mondiale et le gouvernement Kazakh projettent de restaurer les forêts de saxauls un arbuste dont les fins rameaux verts puisent l’eau à une dizaine de mètres de profondeur.
Grâce à la Corée du Sud une conserverie de poissons flambant neuve ouvrira ses portes dans un mois. Ce petit bâtiment de verre et d’acier digne d’une banque de Dubaï fait l’orgueil de ce gros village aux humbles maisons basses et aux rues ensablées. Doté d’équipements aux normes occidentales l’usine exportera sa production vers le marché européen. En réalité précise l’ingénieur sud coréen qui supervise les travaux l’usine traitera dans un premier temps du poisson congelé venu de Mourmansk ou du Kamchatka en attendant que la pêche dans la petite Mer 6000 tonnes actuellement reprenne à plus grande échelle.
En attendant aussi de s’assurer de la qualité des poissons commercialisés
Car la disparition de l’Aral a entraîné une grave crise sanitaire. Outre l’assèchement de la mer l’abus d’irrigation a provoqué une remontée du sel en surface. Face à la baisse de rendement et à la prolifération de parasites, les autorités de l’époque usèrent sans retenue d’engrais chimiques de pesticides dont certains interdits comme le DDT
En grande partie à découvert, le lit de la mer d’Aral est devenu du même coup un réservoir de sable empoisonné disséminé par les vents violents d’asie centrale sur des centaines de kilomètres à la ronde. Ce bouillon de culture hautement toxique a entraîné un taux excessivement élevé de pathologies rénales digestives et respiratoires.
Plus inquétante encore l’île de Vozrojdenie résurrection située jadis dans la Grande mer à la frontière entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan est reliée à la terre ferme depuis avril 2001. Les Soviétiques y avaient installé un laboratoire secret d’armes bactériologiques où furent testées et stockées des souches pathogènes telles que l’anthrax la peste bubonique le typhus et la variole. A la chute de l’union soviétique, les scientifiques quittèrent l’île en assurant l’avoir décontaminée. En réalité plusieurs fûts contenant de l’anthrax furent enterrés sur l’île. Des hommes et des animaux s’aventurèrent sur l’île. Jusqu’à ce que l’on découvre que des souches bactériennes étaient restées actives. En 2001 un accord fut conclu entre l’Ouzbékistan et les usa au terme duquel les Américains ont commencé à nettoyer l’île dont l’accès est depuis interdit.
Le partage de l’eau
La Petite Mer d’Aral sera sauvée. Mais la Grande mer est condamnée au mieux réduite à son bassin occidental un lac saturé de sel. Dépendantes du même réseau hydraulique les cinq républiques d’Asie centrale ont crée en 1993 un fonds d’assainissement de la mer d’Aral destiné à mettre en place une politique commune de gestion de l’eau. Sans grand résultat jusqu’ici. Seul le Kazakhstan grâce à sa manne pétrolière se préoccupe de son milieu naturel. Mais pour les Etats plus pauvres de la région la protection de l’environnement n’est pas toujours à l’ordre du jour. En Ouzbékistan notamment principal pays concerné le coton demeure une source de revenus à l’exportation 24 % du PIB à laquelle le gouvernement Ouzbek ne peut ni ne veut renoncer. Qui plus est les relations entre Tachkent et Astana sont exécrables. Plus en amont le Kirghizistan souhaite développer ses capacités hydroélectriques aux dépens de l’irrigation en aval. Outre les risques qu’ils font peser sur l’écosystème ces désaccords sur le partage de l’eau constituent des sources de conflits potentiels.
Défigurée atrophiée la mer d’Aral survivra à ce qui ne semble être qu’un nouvel avatar de sa très longue histoire. Il y a trois ans à environ 350 km au sud d’Aralsk des archéologues ont mis au jour sur les terres asséchées de l’Aral les vestiges de deux cités anciennes baptisées Kerdeli 1 et 2. Ces découvertes confortent des récits et des études géologiques révélant qu’à l’époque de Gengis Khan et de Tamerlan XIV siècle des détournement de l’amou-daria vers la mer caspienne naturels ou provoqués par l’homme firent subir à la mer d’Aral un sort proche de celui qu’elle connaît aujourd’hui.